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Une pompe pour la vie
Le cœur représente une véritable prouesse de l’évolution, travaillant jour après jour, et ce, pendant plus d’un siècle dans certains cas. Au cours d’une vie humaine moyenne, le cœur pompera près de 190 millions de litres de sang, soit l’équivalent de 75 piscines olympiques ! Dans notre rôle d’ingénieur.e.s concevant les dispositifs médicaux de demain, la question se pose : comment notre cœur fait-il si bien son travail ?
Le cœur, un mélangeur écoénergétique
Lorsque les cavités cardiaques se remplissent de sang, les ultrasons ou IRM nous dévoilent de magnifiques structures tourbillonnantes [1]. On pense que ces structures préservent l’énergie cinétique du processus de remplissage et facilitent l’éjection subséquente [1, 2]. On pense aussi que ces structures tourbillonnantes éliminent efficacement le « vieux » sang des cavités cardiaques provenant des battements cardiaques précédents [2].
En présence d’une maladie cardiaque, les structures tourbillonnantes sont déformées. La question est donc de savoir comment quantifier ces changements de manière intuitive, globale et pratique. Cette étude a pour objectif de créer des indicateurs phares sur l’état dynamique global des flux cardiaques par rapport à un cœur sain. Ces indicateurs pourront ensuite servir à détecter le début d’une maladie, à suivre l’état post-chirurgical d’un patient et à évaluer les performances des dispositifs médicaux.
Les tresses, un phénomène des plus singuliers
Il y a quelque chose d’intrinsèquement mieux dans le fait de tresser les cheveux que de faire une simple torsade : la tresse classique est plus complexe et se défait plus difficilement qu’une torsade. Mais quel est le rapport entre une tresse de cheveux et la dynamique des fluides ?
En dynamique des fluides, le comportement des trajectoires des particules est intrinsèque à la qualité du mélange d’un flux. On peut se servir de la tresse pour coder l’enchevêtrement des trajectoires des particules dans l’espace et le temps [3]. Les propriétés mathématiques de la tresse peuvent alors caractériser globalement le mélange [3]. La figure 1 montre deux tresses, simple torsade (à gauche), tresse classique (à droite), et le mouvement des particules dans le temps (cf. [4] pour les visualisations expérimentales). L’usage de colorants nous permet de voir que, pour le même nombre de torsions, la tresse classique mélange plus efficacement le fluide environnant. Cette tresse s’inscrit dans la famille pseudo-anosovienne, qui comporte des tresses bien enchevêtrées produisant un étirement exponentiel du fluide environnant et donc un bon mélange.

Figure 1 – Le flux codé dans une tresse classique (à droite) favorise un meilleur mélange que le flux codé dans une simple torsade (à gauche).
Des tresses dans le cœur
Un modèle expérimental du flux dans le ventricule gauche du cœur [5] nous permet de suivre des ensembles aléatoires de trajectoires des particules formant des tresses. Nous montrons comment ces tresses peuvent servir à différencier le comportement des flux normaux de celui des flux perturbés, dans ce cas-ci en raison d’une fuite de la valve aortique (régurgitation aortique). La figure 2 compare un ensemble de trajectoires de particules et de tresses dans un ventricule gauche sain (à gauche) à celles d’un ventricule gauche souffrant d’une grave régurgitation (à droite).

Figure 2 – Les tresses dans le ventricule gauche sain (a) tendent à être plus serrées qu’en présence de maladie (b), où les modèles de flux produisent des zones de mélange déconnectées.
La vrille des tresses indique le sens moyen de tourbillonnement du flux : d’une rotation nette en sens horaire dans le ventricule gauche sain, à une rotation nette en sens antihoraire dans le cas d’une grave régurgitation aortique (Fig. 3a). Le plus intéressant est que le comportement du flux dans le cas sain possède un pourcentage élevé de tresses pseudo-anosoviennes. Ainsi, le ventricule gauche sain aurait une capacité remarquable à entraîner des particules aléatoires et éparses à se mélanger, favorisant l’expulsion adéquate du vieux sang. De plus, la fraction de tresses pseudo-anosoviennes est en corrélation directe avec l’efficacité énergétique du ventricule gauche. Ainsi, toute distorsion du flux sain implique non seulement une détérioration de l’efficacité de mélange, mais aussi une plus grande perte d’énergie cinétique causée par les effets visqueux (Fig. 3b).

Figure 3 – (a) Il existe une corrélation entre la quantité nette de torsions de la tresse (la vrille) et la circulation. (b) L’efficacité du mélange (plus de tresses pseudo-anosoviennes) et l’efficacité énergétique (faible perte d’énergie) vont de pair.
Perspectives
Construire des tresses à partir des trajectoires des particules nous permet de décrire adéquatement le comportement tourbillonnant et mixant du flux dans le ventricule gauche et de distinguer les cas sains des cas malades. En comparaison à une analyse moderne de dynamique des fluides, l’approche des tresses nécessite peu de ressources computationnelles et peut être facilement intégrée aux appareils cliniques.
Information supplémentaire
Di Labbio, G., Thiffeault, J.-L., & Kadem, L. (2022). Braids in the heart: Global measures of mixing for cardiovascular flows. Flow, 2, E12. https://doi.org/10.1017/flo.2022.6

Giuseppe Di Labbio
Giuseppe Di Labbio est professeur au Département de génie mécanique de l’ÉTS.
Programme : Génie mécanique

Jean-Luc Thiffeault
Jean-Luc Thiffeault est professeur de mathématiques appliquées à l’Université du Wisconsin – Madison.

Lyes Kadem
Lyes Kadem est professeur à l’Université Concordia et directeur du Laboratoire de dynamique des fluides cardiovasculaires.
Domaines d'expertise :
Dynamique des fluides dans le corps (e.g., flux cardiovasculaires, pulmonaires, urinaires) Méthodes en dynamique des fluides expérimentale (e.g., vélocimétrie par image/suivi de particules) Modélisation d’ordre réduit et analyse modale Jets et interactions des jets Écoulements décollés Mélange Dynamique tourbillonnaire Dynamique des fluides

