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Imprimer un estomac 3D pour mieux éduquer en chirurgie bariatrique - Par : Vincent Pelletier, Yvan Petit, Vladimir Brailovski, Ronald Denis, Anne-Sophie Studer, Éric Wagnac,

Imprimer un estomac 3D pour mieux éduquer en chirurgie bariatrique


Vincent Pelletier
Vincent Pelletier Profil de l'auteur(e)
Vincent Pelletier est étudiant à la maîtrise au Département de génie mécanique de l’ÉTS.
Programme : Génie mécanique 

Yvan Petit
Yvan Petit est professeur au département de génie mécanique de l’ÉTS. Ses intérêts de recherche portent sur la conception assistée par ordinateur, la biomécanique, les dispositifs médicaux et de protection et la fabrication additive.

Vladimir Brailovski
Vladimir Brailovski Profil de l'auteur(e)
Vladimir Brailovski est professeur titulaire et directeur de laboratoire au Département de génie mécanique de l’ÉTS. Il est spécialiste en conception et en fabrication de dispositifs en alliages à mémoire de forme et en fabrication additive.
Programme : Génie mécanique 

Ronald Denis
Ronald Denis est chirurgien à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.

Anne-Sophie Studer
Anne-Sophie Studer Profil de l'auteur(e)
Anne-Sophie Studer est chirurgienne au Centre Hospitalier du Pays d’Aix, en France.

Éric Wagnac
Éric Wagnac est professeur au département de génie mécanique de l’ÉTS. Ses recherches portent sur la biomécanique, la conception par ordinateur, la simulation par éléments finis, les dispositifs de protection et les outils chirurgicaux.
Programme : Génie mécanique 

Un estomac a été fabriqué au moyen d'un moule imprimé en 3D
RÉSUMÉ:

L’obésité est une maladie complexe qui affecte 23 % de la population canadienne, soit plus de 8 millions de personnes. La chirurgie bariatrique est un moyen couramment utilisée pour traiter l’obésité. La technique chirurgicale la plus populaire, appelée gastrectomie en manchon ou « sleeve gastrique », consiste à couper l’estomac et à retirer de 70 à 80 % de son volume total. À l’heure actuelle, il est difficile pour les médecins d’expliquer clairement cette opération à leur patient en raison de sa grande complexité. Cet article présente une nouvelle approche visant à améliorer l’efficacité des rencontres médecins-patients. L’approche se base sur les plus récentes technologies de fabrication additive pour imprimer en 3D un estomac humain de taille réelle, dans un matériau imitant son comportement mécanique. Deux méthodes de fabrication sont abordées et discutées. À l’heure actuelle, la méthode indirecte, qui consiste à fabriquer un moule par fabrication additive et à couler un matériau flexible à l’intérieur du moule pour obtenir un modèle physique d’estomac, s’avère la mieux adaptée pour ce type d’application.

Mots clés : Chirurgie bariatrique, impression 3D, fabrication additive

L’obésité fait aujourd’hui partie de la vie courante de nombreuses personnes. En effet, une augmentation d’environ 4 % de la population canadienne obèse a été observée entre 2001 et 2011 [1]. Aujourd’hui, plus de 23 % de la société canadienne souffre d’obésité, ce qui représente environ 8 millions de Canadiens ayant un IMC de plus de 30. Il existe heureusement plusieurs moyens de traiter l’obésité dont l’exercice physique, la diète alimentaire et la chirurgie bariatrique.

La gastrectomie en manchon (ou « sleeve gastrique ») est la chirurgie bariatrique la plus populaire. Elle consiste à couper l’estomac le long de la grande courbure, retirant ainsi 70 à 80 % de son volume total. Le tout se déroule sous anesthésie générale par coeliochirurgie, une approche chirurgicale qui consiste à explorer la cavité abdominale à l’aide d’un dispositif muni d’une micro-caméra. Lors de l’intervention, le chirurgien effectue de petites incisions au niveau de l’abdomen et insère la micro-caméra. Il introduit ensuite dans l’estomac un guide de coupe de forme cylindrique, appelé « bougie », qui déplie l’estomac, en forme de « J » à l’origine. Il retire ensuite le gras autour de l’estomac et découpe le long de la bougie avec un outil chirurgical capable de découper, cicatriser la plaie et agrafer le tout.

Comment expliquer clairement à un patient la chirurgie de gastrectomie en manchon? C’est la question que le Dr Ronald Denis, chirurgien à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, et Anne-Sophie Studer, chirurgienne au Centre hospitalier du Pays d’Aix en France, ont posé à notre équipe de chercheurs de l’ÉTS.

« En ce moment, nous expliquons la chirurgie de gastrectomie en manchon par le biais d’illustrations sur papier ou de modèles physiques rigides peu représentatifs de la réalité, sans grand succès. Avoir un modèle physique d’estomac réaliste à partir duquel montrer et simuler la chirurgie serait un atout majeur », expliquent les Dr. Denis et Studer.

Toutefois, l’estomac est une structure flexible et vide, de géométrie complexe, qui peut difficilement être fabriquée par les méthodes de fabrication classiques. L’équipe a donc tenté d’exploiter les plus récentes technologies de fabrication additive, couramment appelées impression 3D, pour concevoir un estomac humain de taille réelle, dans un matériau qui imiterait le comportement mécanique de l’estomac humain. Dans le cadre de cette étude, la fabrication additive désigne un ensemble de procédés par addition de matière permettant de fabriquer un objet complexe à partir de modèles virtuels 3D.

Impression de l’estomac

Le modèle géométrique virtuel 3D d’un estomac humain a été créé à partir d’images médicales sur un logiciel de reconstruction 3D (MIMICS, Materialise, Belgique). Ces images représentent un estomac vide puisque le patient est à jeun lors de l’opération. Selon une étude épidémiologique canadienne récente, elles devaient aussi provenir d’une personne âgée entre 30 et 54 ans présentant un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30. Une fois reconstruit, le modèle virtuel a été sauvegardé dans un format adapté à la fabrication additive.

Deux approches de fabrication additive ont été testées : une méthode directe et une méthode indirecte. La méthode directe consiste à fabriquer le modèle physique de l’estomac dans un matériau flexible, au comportement similaire à celui de l’estomac, en utilisant une technologie de fabrication additive. La méthode indirecte consiste plutôt à fabriquer un moule par fabrication additive et à couler un matériau flexible à l’intérieur du moule pour obtenir un modèle physique d’estomac.

Méthode directe

Parmi les sept procédés de fabrication additive répertoriés dans la norme ASTM F42, deux procédés ont été testés pour l’impression directe en raison de leur capacité à imprimer des matériaux flexibles : la photopolymérisation en cuve et le jet de matériau.

La photopolymérisation en cuve est un procédé dans lequel une résine photosensible est photopolymérisée à l’aide d’une lumière dont la longueur d’onde correspond à l’ultra-violet. Pour l’estomac, l’impression a été réalisée sur une machine Form 1+ (FormLABS, États-Unis), avec un matériau flexible similaire à du caoutchouc. Comme l’estomac est une pièce creuse, des supports sont fabriqués dans la cavité de l’estomac pour supporter les couches qui seraient autrement dans le vide.

Le modèle physique résultant montre que ce procédé permet d’obtenir une géométrie fidèle à la réalité. Cependant, l’estomac fabriqué en utilisant cette technologie n’est pas suffisamment flexible pour résister aux efforts de tension et de flexion requis pour déplier l’estomac et insérer la bougie. De plus, il est difficile de retirer manuellement les supports en raison des ouvertures trop fines de l’estomac.

Estomac imprimé en 3D par photopolymérisation

Estomac fabriqué par photopolymérisation

Le jet de matériau est un procédé utilisant des têtes d’impression pour déposer couche par couche de fines gouttelettes d’une résine photosensible. Pour l’estomac, l’impression a été réalisée sur une machine Objet260 Connex 2 (Stratasys, États-Unis), avec le matériau le plus flexible pouvant actuellement être utilisé pour ce procédé (Tango Plus). Tout comme la photopolymérisation en cuve, le modèle physique obtenu affiche une géométrie fidèle, mais une rigidité trop importante et une résistance mécanique insuffisante pour simuler une gastrectomie. De plus, il est difficile de retirer complètement les supports pour les mêmes raisons évoquées pour la photopolymérisation en cuve.

L'estomac a été imprimé en Tango plus, un matériau très flexible.

Procédé de jet de matériau et estomac obtenu par cette méthode

Méthode indirecte

Pour tester la méthode indirecte, le modèle 3D du moule a été créé à partir du modèle 3D de l’estomac, et imprimé en un thermoplastique rigide (ABS) sur une machine Fortus 250 mc (Stratasys, États-Unis) fonctionnant selon le principe d’extrusion de filament de matériaux. Le moule contient aussi un noyau représentant le volume interne de l’estomac, qui a été imprimé avec le même procédé mais dans un matériau soluble à l’eau.

L’extrusion de matière créant un effet « escalier » en surface causé par la fabrication par couches, le moule a été trempé dans une solution acrylique pour lisser et boucher les pores en surface.

Le moule de l'estomac a été imprimé au moyen d'un matériau soluble à l'eau

Extrusion de filament

Une fois le moule terminé, une résine de silicone a été coulée par gravité à l’intérieur du moule. Le modèle physique moulé a ensuite été trempé dans une solution pour retirer le noyau et vider la cavité de l’estomac. Le modèle final présente fidèlement la géométrie d’un estomac vide avant une opération et affiche aussi des propriétés mécaniques similaires à l’estomac. Capable de résister aux manipulations que demande la simulation physique d’une gastrectomie en manchon, le modèle répond donc aux besoins des chirurgiens!

L'estomac imprimé en 3D montre bien la chirurgie bariatrique de gastrectomie en manchon

Moule imprimé en 3D et estomac coulé

Conclusion

L’utilisation directe de la fabrication additive est aujourd’hui limitée en ce qui concerne l’impression de matériaux flexibles et présente certaines limites pour bien reproduire le comportement biomécanique de tissus mous tels que l’estomac humain. Toutefois, le monde de l’impression 3D est en pleine expansion et de plus en plus d’entreprises se concentrent sur la fabrication de pièces en matériaux flexibles. Par exemple, la compagnie allemande WACKER semble avoir trouvé un moyen d’imprimer des pièces directement en silicone. Leur technologie n’est toutefois pas en vente à ce jour. Pour l’instant, une approche indirecte permettant de couler une résine de silicone à l’intérieur d’un moule imprimé en 3D offre des résultats très satisfaisants. En plus de son faible coût, cette méthode a l’avantage de produire un moule réutilisable. Très bientôt, les chirurgiens seront en mesure d’expliquer efficacement à leur patient la chirurgie bariatrique qui les attend, voire même de former les futurs médecins, avec des estomacs imprimés en 3D.

Vincent Pelletier

Profil de l'auteur(e)

Vincent Pelletier est étudiant à la maîtrise au Département de génie mécanique de l’ÉTS.

Programme : Génie mécanique 

Laboratoires de recherche : LAMSI – Laboratoire sur les alliages à mémoire et les systèmes intelligents 

Profil de l'auteur(e)

Yvan Petit

Profil de l'auteur(e)

Yvan Petit est professeur au département de génie mécanique de l’ÉTS. Ses intérêts de recherche portent sur la conception assistée par ordinateur, la biomécanique, les dispositifs médicaux et de protection et la fabrication additive.

Programme : Génie mécanique  Génie technologies de la santé 

Chaire de recherche : Chaire de recherche du Canada en biomécanique des traumatismes à la tête et la colonne vertébrale 

Laboratoires de recherche : LIO – Laboratoire de recherche en imagerie et orthopédie 

Profil de l'auteur(e)

Vladimir Brailovski

Profil de l'auteur(e)

Vladimir Brailovski est professeur titulaire et directeur de laboratoire au Département de génie mécanique de l’ÉTS. Il est spécialiste en conception et en fabrication de dispositifs en alliages à mémoire de forme et en fabrication additive.

Programme : Génie mécanique 

Laboratoires de recherche : LAMSI – Laboratoire sur les alliages à mémoire et les systèmes intelligents 

Profil de l'auteur(e)

Ronald Denis

Profil de l'auteur(e)

Ronald Denis est chirurgien à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.

Profil de l'auteur(e)

Anne-Sophie Studer

Profil de l'auteur(e)

Anne-Sophie Studer est chirurgienne au Centre Hospitalier du Pays d’Aix, en France.

Profil de l'auteur(e)

Éric Wagnac

Profil de l'auteur(e)

Éric Wagnac est professeur au département de génie mécanique de l’ÉTS. Ses recherches portent sur la biomécanique, la conception par ordinateur, la simulation par éléments finis, les dispositifs de protection et les outils chirurgicaux.

Programme : Génie mécanique 

Laboratoires de recherche : LIO – Laboratoire de recherche en imagerie et orthopédie 

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