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Les émissions otoacoustiques : une mesure de la santé auditive - Par : Vincent Nadon, Jérémie Voix,

Les émissions otoacoustiques : une mesure de la santé auditive


Vincent Nadon
Vincent Nadon est étudiant au doctorat au Département de génie mécanique de l’ÉTS. Ses intérêts de recherche portent sur le traitement de signal, l’électronique, l’acoustique, la conservation de l’ouïe et la santé.

Jérémie Voix
Jérémie Voix est professeur au Département de génie mécanique de l'ÉTS et titulaire de la Chaire CRITIAS. Ses recherches portent sur le contrôle du bruit, la protection auditive, la mécatronique et le traitement du signal et des données.

Émissions otoacoustiques émises par l’oreille

L’image d’en-tête a été achetée sur Istock.com et est protégée par des droits d’auteur.

RÉSUMÉ:

Malgré les efforts pour intégrer les programmes de conservation de l’ouïe en milieu de travail, la perte auditive induite par le bruit demeure la cause numéro un d’invalidité chez les travailleurs nord-américains. Pour mieux évaluer le risque que présente le milieu de travail, on peut corréler les changements de la santé auditive des travailleurs avec le niveau de bruit ambiant. Le but de l’étude présentée ci-dessous est donc de développer une approche qui pourrait améliorer les pratiques de conservation de l’ouïe en effectuant un suivi continu des émissions otoacoustiques.

Introduction

Chaque année plus de 22 millions de travailleurs (NIOSH, 2016) sont exposés à une dose de bruit journalière pouvant entraîner à court ou moyen terme une perte auditive importante. Malgré les efforts des programmes de conservation de l’ouïe en milieu de travail, la surdité professionnelle demeure la plus fréquente cause d’invalidité reliée au travail, représentant 72,5 % des dossiers enregistrés et acceptés (CNESST, 2017). Les moyens de prévention utilisés actuellement en industrie sont dépassés et se basent sur des données historiques qui ne reflètent pas forcément les dernières découvertes liées au fonctionnement du système auditif. Les tests de dépistage et de suivi sont malheureusement effectués à intervalles trop grands pour détecter les troubles d’audition à temps, soit avant qu’ils ne deviennent permanents.

Les émissions otoacoustiques

système de mesure des émissions otoacoustiques par DPOAE

Fig. 1 Représentation de l’oreille avec le système de mesure des émissions otoacoustiques.

Une nouvelle technique de suivi de la santé auditive a été intégrée à un système portable conçu pour un usage en industrie. Cette technique repose sur la mesure des émissions otoacoustiques, « oto » voulant dire de l’oreille, comme présenté à la Fig.  1. Ces émissions sont en fait de petits sons émis (en rouge) par la cochlée depuis l’intérieur de l’oreille interne, qui peuvent être provoqués à l’aide d’un haut-parleur miniature et captés à l’aide d’un petit microphone placé dans le conduit auditif. Le niveau sonore de ces émissions otoacoustiques, ici mesurées par la technique du produit de distorsion (distortion product otoacoustic emission, DPOAE), indique l’état de santé des cellules ciliées externes (Fig.  2). Le rôle de ces cellules a été découvert assez récemment dans l’histoire de l’audiologie, et – expliqué simplement- elles ont comme fonction d’amplifier ou de réduire le mouvement de la membrane basilaire, lequel est ensuite transformé en signal électrique par les cellules ciliées internes afin d’être envoyé le long du nerf auditif vers le cortex auditif, au cerveau. Lorsque les cellules ciliées externes sont affectées par une exposition au bruit, le niveau de l’émission otoacoustique diminue. On peut ainsi en déduire que la dose de bruit reçue a été nocive pour la santé auditive. La technique de mesure des DPOAE date de quelques années déjà, mais son utilisation est de plus en plus fréquente et intéressante pour aller chercher plus d’information sur la santé de l’oreille, plus particulièrement de l’oreille interne.

Les cellules ciliées externes émettent des émissions otoacoustiques

Fig. 2 Organe de Corti dans la cochlée de l’oreille humaine

À l’aide de l’utilisation combinée d’un dosimètre pour mesurer le niveau sonore des bruits auxquels le travailleur est exposé et de la mesure des émissions otoacoustiques pour évaluer l’effet de cette exposition, il sera donc possible de déterminer les causes exactes de la perte auditive en milieu industriel et, éventuellement, de la prévenir en établissant une dose maximale personnalisée pour chaque travailleur en fonction des changements observés lors de sa journée de travail précédente.

Étude préliminaire

Nouveau système de mesure des émissions otoacoustiques par DPOAE

Fig. 3 Illustration de l’expérience conduite sur des volontaires. Le système conçu est comparé à un système de référence de mesure des DPOAE

Une étude préliminaire a été menée sur des volontaires (Fig.  3) avec un premier prototype portable (Fig.  1) (Nadon, Bockstael, Botteldooren, & Voix, 2017) permettant de mesurer leurs émissions otoacoustiques dans un milieu bruyant, dont le niveau sonore moyen peut varier entre 65 et 75 dB (SPL). Dans le cadre de l’étude, les participants étaient exposés à divers types de bruits d’un niveau maximal avoisinant les 90 dB (SPLDéfinition : « niveau de pression acoustique par rapport à 20 µPa ». Réf Wikipedia.org. https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cibel_(bruit)), tels que du bruit industriel et du bruit large bande, aussi appelé bruit blanc, ainsi qu’à une condition contrôle, sans bruit. Une journée d’exposition au bruit est présentée dans le haut de la Fig.  4.

Résultats de l’étude préliminaire et du modèle élaboré

L’effet de la dose de bruit sur la santé auditive des participants est présenté au bas de la Fig.  4. Les niveaux des DPOAE sont plus faibles après environ 325 minutes (5 h 25) d’exposition au bruit et augmentent progressivement pendant la phase de récupération, qui va jusqu’à environ la 375e minute. Les résultats de l’étude ont permis d’établir un modèle montrant l’effet du bruit sur l’oreille (Fig.  5) et permettant de mieux observer comment une perte auditive s’installe chez l’humain.  Ce modèle permet également de vérifier le taux de récupération de l’oreille suivant un traumatisme court terme. Cette étude appuie les dernières recherches en matière de perte auditive dite « cachée » (Liberman & Kujawa, 2017) puisqu’elle permet d’observer des changements de la fonction auditive non mesurables à l’audiogramme, le test d’audition classique, grâce aux émissions otoacoustiques.

Niveaux d’émissions acoustiques selon l’exposition au bruit

Fig. 4 Haut : niveaux du bruit auxquels les participants ont été exposés. Bas : niveaux des émissions otoacoustiques à différentes fréquences f2 (Hz) de stimulation en fonction du temps. Certains points ont été rejetés en fonction du bruit trop élevé.

Perte auditive en fonction des fréquences

Fig. 5 Données simulées à l’aide du modèle construit à partir des données obtenues lors de tests expérimentaux. Le progrès de la perte auditive est présenté en fonction des fréquences (4000-5667 Hz) et le niveau de bruit simulé est présenté en bas à droite.

Conclusions

La perte auditive entraîne malheureusement de grands coûts pour la société, particulièrement pour le remboursement des prothèses auditives et les différents soins de santé connexes.

Les résultats de l’étude préliminaire indiquent qu’il est possible d’établir une relation de dose-effet entre la dose de bruit à laquelle les participants sont exposés et les effets sur la santé auditive. De cette façon, il sera possible d’établir des limites d’exposition personnalisées pour les travailleurs et, du même coup, de mieux prévenir la perte auditive.

Vincent Nadon et le professeur Jérémie Voix sont présentement en période d’essai avec une deuxième version du système portable, permettant de faire des tests d’émissions otoacoustiques plus poussés. Les résultats sont recueillis sur un groupe contrôle ayant une faible exposition au bruit et comparés avec un groupe travaillant en milieu industriel et exposé au bruit de façon modérée.

Information supplémentaire

Pour plus d’information sur cette recherche, veuillez consulter l’article suivant :

Nadon, V., Bockstael, A., Botteldooren, D., & Voix, J. (2017). Field Monitoring of Otoacoustic Emissions During Noise Exposure: Pilot Study in Controlled Environment. American Journal of Audiology, 26(3S), 352.

Vincent Nadon

Profil de l'auteur(e)

Vincent Nadon est étudiant au doctorat au Département de génie mécanique de l’ÉTS. Ses intérêts de recherche portent sur le traitement de signal, l’électronique, l’acoustique, la conservation de l’ouïe et la santé.

Programme : Génie mécanique  Génie technologies de la santé 

Chaire de recherche : Chaire de recherche CRSNG-EERS en technologies intra-auriculaires 

Laboratoires de recherche : GRAM-Groupe de Recherche en Acoustique à Montréal 

Profil de l'auteur(e)

Jérémie Voix

Profil de l'auteur(e)

Jérémie Voix est professeur au Département de génie mécanique de l'ÉTS et titulaire de la Chaire CRITIAS. Ses recherches portent sur le contrôle du bruit, la protection auditive, la mécatronique et le traitement du signal et des données.

Programme : Génie mécanique  Génie technologies de la santé 

Chaire de recherche : Chaire de recherche CRSNG-EERS en technologies intra-auriculaires 

Laboratoires de recherche : GRAM-Groupe de Recherche en Acoustique à Montréal  CÉRIÉC-Centre d’études et de recherche intersectorielles en économie circulaire 

Profil de l'auteur(e)


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